Laura Dumoussaud, photographe plasticienne née en 1998 à Caen, partage son temps entre les côtes normandes et Paris. Après un cursus en Médiation Culturelle à la Sorbonne-Nouvelle, elle intègre la licence, puis le master Arts Plastiques et Art contemporain : Pratiques, Histoires et Théories de la Photographie à l'Université Paris 8. Sa pratique s’enracine dans une double filiation familiale et artistique. Marquée par l'influence de son grand-père et de son arrière-grand-père, restaurateurs de tableaux et artistes-peintres, elle hérite d’une attention singulière à la matérialité des images et aux gestes qui les façonnent.
Dans son travail, la photographie entre dans l’atelier. Il devient un espace de prolongement des paysages habités, où les images sont transformées et mises en mouvement. Elle considère l’image comme une matière première, qu’elle réactive par des procédés variés tels que le transfert sur toile, le photo-modelage, le photo-dessin, la projection et la vidéo. Ces manipulations engagent une relation attentive et intime, faite de temps passé avec les images et d’un soin particulier porté à leur transformation, étendant ainsi leur temporalité et l’expérience de la rencontre avec le(s) vivant(s).
“Le temps qu’il faut”
Extrait du catalogue d’exposition (20 mars - 3 avril 2025, Mains d’Œuvres, Saint-Ouen-sur-Seine)
Entre marches ritualisées et expérimentations de la matière photographique, Laura Dumoussaud développe une pratique plasticienne aux accents picturaux. Imprégné par l’observation de paysages qui lui sont familiers, son regard attentif et contemplatif se prolonge dans l’atelier où elle manipule et confectionne ses images pour en saisir l’essence.
À la manière du processus de sédimentation géologique, les éléments traversent différents états avant d’être fixés et stabilisés au sein de photographies aux techniques hybrides. Ces images-vestiges incarnent à la fois la présence discrète et saisissante du vivant et ce qui le préserve. Réceptacles d'une expérience intime de la vie sensible, elles deviennent des vecteurs de connaissances sensorielles et affectives.
En portant un regard empreint d’empathie au(x) vivant(s), la photographe nous invite à nouer avec eux une relation plus attentive et sensible, tout en décelant ce qui nous relie.
Léa Jallut, Nathan Magdelain et Alice Rochepeau
Inspirée par des philosophes comme Merleau-Ponty ou Baptiste Morizot, Laura Dumoussaud explore les liens entre la sensibilité au(x) vivant(s), la perception incarnée et la temporalité de l'image. Sa démarche mêle marche, observation et enregistrement photographique. À travers ses œuvres, elle invite à une contemplation lente et attentive, révélant les espèces animales et végétales endémiques, ainsi que les matières organiques et minérales qui composent les paysages, avec une attention particulière portée à la formation des sols.
« Matières-Mémoires »
Une exposition de Laura Dumoussaud et Chloé Martinot au studio Frank Horvat, Boulogne-Billancourt
De la photographie argentique à la photographie numérique, la relation à l’image et à sa place dans nos vies s’est intensifiée comme elle a bousculé son adhérence aux choses et au temps. Par la matérialité affirmée qu’elles donnent à leurs œuvres, Laura Dumoussaud et Chloé Martinot traduisent leur attachement aux sujets évoqués, de nature intime et biographique.
Dans le studio de Frank Horvat où elles ont entrepris de mettre en regard leurs travaux, elles ont instillé, au fil de l’accrochage, l’impression d’un temps sans durée qui est celui du souvenir. Que l’on plonge son regard dans les Dunes de Chloé Martinot, des formes courbes, lumineuses, où se distinguent progressivement les contours sublimés d’un corps de femme, ou les Éphémérides organiques de Laura Dumoussaud, compositions florales converties en d’éphémères reflets, les images ont cette présence vacillante des visions oniriques produites par la mémoire.
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Incitée très jeune à la découverte des techniques de restauration d’image et de peinture par des membres de sa famille, Laura Dumoussaud a toujours considéré la matérialité de ses œuvres comme un élément déterminant de leur présence. À la façon dont elle observe les paysages de sa Normandie natale pour en faire la substance de ses images, on pense à ces mots d’Elisée Reclus : « Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent. » Ce tropisme affectif de la mémoire biographique et géographique, aussi lié à l’enfance, nourrit une approche créative à la fois studieuse et méditative. Les prises de vues qu’elle réalise le plus souvent lors de marches en pleine nature sont l’amorce de tout un ensemble d’opérations qui les transforment progressivement pour en extraire les qualités intrinsèques.
Dans le cadre de la série Topogenèse, le transfert sur toile donne à ses paysages photographiés une densité picturale qui exacerbe leurs couleurs et traduit les phénomènes naturels d’érosion et de végétalisation qui en modifient l’apparence au fil du temps.
La série des Castelets poursuit ce désir d’atténuer la fixité de l’image en étirant le temps. Par le truchement d’un dispositif qui rappelle celui du diorama, elle fait circuler le regard entre des strates de paysages dont elle a découpé les différents plans pour accroître l’illusion d’espace, tandis que l’usage de verres anciens, légèrement bombés, parachève cette impression d’observer du dehors un monde miniaturisé et profond.
Sous le titre évocateur de « Matières-Mémoires », les deux artistes évoquent d’emblée une approche de la pratique photographique motivée par une exploration de ses possibilités esthétiques. Laura Dumoussaud et Chloé Martinot traduisent ainsi « le mouvement de la mémoire qui travaille[1]», selon les mots d’Henri Bergson auquel le titre de l’exposition fait écho. Par cette durée dynamique des processus de transformation qu’elles mettent en place, faits d’idées, de sentiments et de sensations, les artistes « prolongent le passé dans le présent[2] ». En passant du souvenir à sa perception, elles cherchent à créer des images fortes et autonomes, libérées de l’illusoire « ça a été » d’un passé révolu.
[1] Henri Bergson, Matière et mémoire, PUF, 1993, p.148.
[2] Henri Bergson, La pensée et le mouvant, Flammarion, 2014, p. 250.
Marguerite Pilven
“Mutations”
12 au 19 décembre 2023, galerie ADada, Saint-Denis
« [...] sans quitter la scène des yeux, je tournais le kaléidoscope doucement, doucement, admirant la lente modification de la rosace. Parfois l'insensible déplacement d'un des éléments entraînait des conséquences bouleversantes. J'étais autant intrigué qu'ébloui, et bientôt voulus forcer l'appareil à me livrer son secret. Je débouchai le fond, dénombrai les morceaux de verre, et sortis du fourreau de carton trois miroirs [...] ».
André Gide, Si le grain,1924, p. 352
Dans les mots d’André Gide, Laura Dumoussaud trouve une expression de sa sensibilité à l’état changeant de la matière et aux appareils de vision qui permettent de les scruter. Issue d’une famille de peintres restaurateurs, elle a pu observer, dès son enfance, la dégradation qui attend toute image du fait de son inscription dans une matière et les multiples gestes permettant de la retenir, de la ralentir, de l’atténuer, ou d’y répondre par des actes de réparation. C’est via la pratique du médium photographique qu’elle reconduit aujourd’hui sa fascination pour la fragilité du support de l’image et ses multiples possibilités de mutation.
Marguerite Pilven
Textes